“Tonight’s review then is of one of the most recent batch of discs from the Another Timbre label- an album named Chantier 1 by the trio of Pascal Battus, Bertrand Gauguet and Eric La Casa. Only the first two of the musicians actually play instruments or make sounds here however, with La Casa recording events, but as this isn’t quite your average album of improvised music then the importance of his role as more than just the recording engineer becomes clear. There are seven tracks on Chantier 1, the first couple of which are studio recordings of Gauguet’s saxophones, acoustic and amplified with effects, and Battus’ rotating surfaces and objects. The last five though feature the same two musicians, with the same instrumentation, playing together on a working building site in Paris.
The idea behind the project, is that the musicians would record themselves playing at the construction site, while all of the normal sounds of such a place went on around them, and then they would months later reconvene in a studio and try and remember the site and play together in a manner that reflected the earlier occasion. I was aware of this much before I put the CD into the player here for the first time. The liner notes on the disc also mention the building site recording before the studio one, so I automatically, but incorrectly, assumed that the first thing I would hear would be the building site pieces, with the late memories of them, which were recorded more than seven months later following on behind. The first two tracks here then are actually those made int he studio, but when I first listened I was doing so with the basic understanding in my head that I might also be hearing power tools etc alongside the instruments. I will admit that I was at first then a little disappointed that there was little distinction to be made between instruments and workers. the sounds I heard seemed to be similar to drilling, scraping and hammering sounds, but they also didn’t sound quite the real deal. So when the third track here began and immediately the construction site became a clear part of the recordings I checked the liner notes and realised the pieces were reversed. The interesting thing though, was that I was happy to accept that what I was hearing was the worksite recordings, which probably stands as a credit to the musicians’ attempts to recreate their memories of the day at the site.
While the opening two tracks consist of gritty, grinding, brittle improvisation then the really interesting stuff here begins at track three, when the recordings immediately sound like industrial site captures and the challenge is to track down the instrumental sounds amongst everything else. So there are crashes, drilling sounds, echoing scrapes and other aural detritus in here that probably belongs to the building site, but while many of the sax sounds are easily identifiable, some of them, and a great many of Battus’ little amplified scrapes and whirrs blend completely into their temporary environment. The closing track in particular is wonderful- as people shout and chatter to each other, even singing in places, and hammering, drilling and who knows what else echoes around La Casa’s expert recordings, so the two musicians just about disappear into the aural space. At one point one of the workers, having begun a conversation with the musicians decides to play a glimpse of Kurdish traditional music on his phone, to introduce his own culture into proceedings. If this final track seems to really illustrate a uniquely captured combination of musicians with unusual environment it also seems to capture a coming together of artists and workers in ways that were once commonplace but these days are rare.

If the opening tracks here feature some nice, gnarly improvisation, the idea to try and recover how the musicians felt in the construction site space is probably not as exciting as the actual recordings from the site themselves, which are a real joy to immerse yourself in from a listener’s perspective. I’m glad the extra tracks are here, I appreciate their importance and can imagine how much this additional perspective provided the musicians putting this work together, but after the first few listens to the disc I found myself starting later plays at track three where the richer, more varied sound environment suddenly engulfs the musicians’ inputs. However you listen though, this is an excellent CD capturing an original and inspired idea. The number 1 tacked on to the end of the album title suggests this may be the first release in a series of similar works. I hope this is the case.” Richard Pinnell, The Watchful Ear



Voici un disque qui fera date je l'espère. Car si on est plus ou moins habitué à entendre des artistes qui tentent d'interagir avec l'environnement sonore, des artistes qui choisissent des sites très spécifiques comme lieux d'enregistrements (grotte, usines désaffectée, gare, forêt, etc.), ces artistes se contentent seulement d'une relation avec le site lui-même, mais rarement avec un site habité. Il n'y a pas de relation entre la musique et l'homme, à moins que ce ne soit un public... La grandeur du trio Battus/Gauguet/La Casa, c'est de surpasser cette démarche qui tend à devenir une mode en créant une relation spécifique entre deux musiciens (Pascal Battus aux surfaces rotatives et objets trouvés, Bertrand Gauguet aux saxophones acoustiques et amplifiés plus effets), un site spécifique (un immeuble parisien en construction), et ceux qui l'habitent (les travailleurs).

Je suis un peu ennuyé de séparer Éric La Casa des deux instrumentistes, mais j'aimerais quand même justifier son accréditation peut-être surprenante mais pleinement justifiée. Car en effet, Éric La Casa ne joue pas d'instrument au sens classique du terme, il n'est peut-être crédité qu'aux microphones, mais cela ne doit certainement pas l'exclure du trio. Bien au contraire, il est plutôt le personnage central de ce trio dans la mesure où c'est bien lui qui joue le plus sur les relations possibles entre le site et les musiciens. Dans ce trio, même s'il ne produit pas de son, il assure la continuité matérielle entre la musique et l'environnement, et avec brio. Pour l'anecdote, j'ai écouté une fois ce disque un matin au beau milieu des Causses du Larzac, dans une vallée aride et désertée. J'écoutais ce disque au casque, et plusieurs fois, je me suis surpris à me demander d'où venaient les sons, je retirais plusieurs fois mon casque pour m'assurer qu'il n'y avait pas un camion-benne où une scie à métaux plus haut dans la vallée. Car l'attention extrêmement sensible de La Casa aux divers sons présents sur le site lui permet de leur rendre toute leur profondeur, tout leur espace. La vie des travailleurs et du chantier peut parfois être au centre de l'environnement, parfois lointaine, et c'est cette gestion incroyable de l'espace sonore, cette gestion beaucoup plus musicale que technique, qui permet d'intégrer le preneur de son aux artistes. Car il ne fait belle et bien rien d'autre qu'improviser avec le site et les musiciens, qu'improviser avec un talent hors du commun.

Plus concrètement, qu'est-ce qu'on peut entendre sur ce disque? Le disque est divisé en deux parties: la première a été enregistré en studio, quelques mois après l'expérience du Chantier. On y entend Pascal Battus et Bertrand Gauguet improviser deux pièces en tachant de se remémorer la situation d'enregistrement initiale, sans prendre en compte leurs expériences précédentes - car le duo existe depuis 2006. Feuilles de papiers, plastiques et autres surfaces sont mises en vibration, sont frottés par des mécanismes circulaires et rudimentaires. Des textures abrasives et granuleuses auxquelles Gauguet répond par une multiplicité de techniques étendues. Les deux strates se mêlent, se mélangent et se confondent dans un jeu d'imitation alchimique. Une interaction plutôt incroyable entre l'acoustique, les préparations et l'électronique qui s'entremêlent indistinctement. Une absence totale de hiérarchie entre les sources, ce qu'on retrouve également dans les cinq merveilleuses pièces suivantes. Car pour l'enregistrement in situ, le principe est le même. Il s'agit de confondre les sources, d'y répondre avec le même respect que s'il s'agissait d'une partition - quand bien même il s'agit d'une production électroacoustique, d'un son des travailleurs, d'une note de saxophone, de l'architecture du lieu, jusqu'au discours des travailleurs eux-mêmes. De l'eau qui coule, un camion-benne, des scies à métaux, des marteaux, se mêlent à des sons de surfaces rotatives et de saxophones, sans hiérarchie ni mise en avant de l'un comme de l'autre. L'écoute des musiciens est précise, attentive, sensible, chacun réagit à l'autre et à l'environnement sonore et humain avec une musicalité, un profond respect, une humilité, une discrétion et une sensibilité hors du commun.

Mais toute la force de ce Chantier réside peut-être dans les réactions qu'a su susciter cette expérience - réactions qui sont pleinement acceptées et intégrées à la performance, le but étant même de les solliciter et d'y répondre. Je pense par exemple à la dernière pièce, où la musique s’interrompt lorsqu'un turc d'origine kurde parle de sa vision de la musique aux musiciens et leur fait écouter un air traditionnel de flûte qawal. Voilà pour la réaction la plus forte, mais c'est également l'aspect documentaire qui est remarquable, car l'enregistrement saisit d'une part la multiplicité des travaux sur le lieu de construction à travers les sons des engins utilisés (maçonnerie, plomberie, métallerie, etc.), mais également la multiplicité ethnique des travailleurs (africains, arabes, kurdes) - reflet flagrant de l'exploitation salariale (ou non) des flux migratoires des masses sous-prolétarisées.

Un disque extrêmement marquant et bien sûr hautement recommandé. Avec Richard Pinnel, je ne peux qu'espérer une suite à cette expérience remarquable qui parvient à surpasser ce qui tend parfois à devenir une démarche formelle (je parle de l'intégration de l'environnement sonore). En ce sens, c'est à dire en tant qu'il surpasse et dépasse une certaine esthétique ou une certaine logique artistique, on pourrait presque dire que Chantier 1 est un disque transcendant, en tout cas, il marque une nouvelle étape dans l'histoire toujours en cours des musiques.” Julien Heraud, Improv-Sphere



A recording of a project in two parts in which the second is presented first. Battus (rotating surfaces, found objects) and Gauguet (saxophones, amplified and not, other effects) creatively recorded by La Casa, played in a construction site amongst workers there. But they later performed in a "neutral" space, their music based on memories of what occurred earlier. It's these (two) tracks which are presented first, an odd strategy in that the listener (unless he's read about it at the Another Timbre site) doesn't have the same frame of reference as the musicians.
When the third cut appears, the first thing noticed is how much the space has opened, the volume of air flowing about. Whatever surfaces Battus is rotating and metal tubes down which Gauguet is propelling breath, when integrated with water, whistling, the banging of things unloaded, hammering and chatter, they sound far, far more interesting and, surely, of their environment. In that such sites often employ rotating surfaces and forced-air devices of their own, the four latter pieces become, essentially, field recordings in the classic sense, albeit it pretty enjoyable ones, particularly the last, longest piece which includes (per the conversation at the AT site), some Kurdish music off a worker's cell, a fine cultural cross-reference to a people disinterested in Western affects like...field recording.” Brian Olewnick, Just Outside



Depuis longtemps Eric La Casa (accompagné ici par Pascal Battus et Bertrand Gauguet) poursuit sa démarche d'intégration de l'environnement sonore - plus particulièrement industriel qu'il avait entamé à la fonderie Pacard - à ses travaux. L'insertion et l'interaction avec les sites industriels établissent surtout un lien entre la musique et ceux qui travaillent dans de tels lieux. Pascal Battus (aux surfaces rotatives et avec divers objets récupérés) et Bertrand Gauguet (aux saxophones amplifiés et modifiés par divers effets) trouvent en Eric La Casa - qui n'est pas musicien au sens classique du terme - un "preneur de sons" d'exception. Il reste la pièce maîtresse du trio. Si Battus et Gauguet "jouent", le troisième crée la jointure entre la musique et l'environnement industriel.

L'effet est prodigieux en particulier au casque : le vrombissement de camions-bennes, les stries d'une scie à métaux trouvent dans le mixage de La Casa avec les instruments de ses acolytes une profondeur inédite. Les travailleurs du chantier semblent parfois au coeur même du dispositif qui reste cependant beaucoup plus sonore que technique. Le rôle de La Casa est donc essentiel : il prend le rôle d'un metteur en scène et d'un metteur en ondes en devenant l'improvisateur capable de jongler avec les sons hybrides.

La première partie du disque est enregistrée en studio après l'expérience du chantier in situ. Battus et Gauguet improvisent deux pièces en tâchant de se remémorer la situation d'enregistrement initiale. Feuilles de papiers, plastiques et autres surfaces sont mises en vibration, sont frottées par des mécanismes circulaires simples. Aux textures abrasives et granuleuses de Battus et Gauguet font écho les dérives du saxo. Ces deux éléments sonores se mélangent par l'imbrication subtile entre l'acoustique et l'électronique. La musique n'a pas le "pas" sur l'environnement. Mais l'inverse est vrai aussi : La Casa refuse une quelconque hiérarchie entre les deux sources.

Les cinq pièces suivantes de l'album - qui en constituent la seconde partie - ont été enregistrées in situ. Mais elles répondent à la même intention. L'objectif reste de mêler les deux sources selon une structure digne d'une partition "classique" : création électroacoustique, bruits émis par les travailleurs, plages de saxophone, discussions des ouvriers, tout est mis sur le même plan. Intensités sonores d'écoulements aquatiques, de motteuxrs, de scies, de marteaux se lient à celles des surfaces rotatives et de saxophones.

Il y a là une recherche rarissime qu'on ne peut jamais réduire à un simple bruitisme. Bien au contraire l'organisation de deux strates se fait précise, attentive comme si tous les participants - musiciens ou non - étaient à l'écoute des autres. Surgit une émotion particulièrement dans ce qui représente bien plus une expérience qu'une simple "performance" sonore - même s'il ne faut pas occulter cet aspect de l'oeuvre qui ouvre sur une autre dimension de l'opus.

Dans la dernière pièce la musique s'interrompt soudain : un travailleur kurde évoque sa vision de la musique au trio et lui fait écouter un air traditionnel de flûte qawal. Néanmoins l'entreprise dépasse le document. Certes, à partir de cette source analytique d'enregistrement d'une multiplicité des travaux surgit aussi la présence d'un choeur particulier : celui des Africains, Arabes, Kurdes, bref des ethnies prolétaires du chantier. On peut donc entendre une manifestation d'une certaine exploitation humaine. Mais sous les affres implicites et grâce aux trois artistes surgit aussi d'une culture en mouvement dans une audition la plus proche de ce qui est de la vie d'un chantier. Celle d'une pluralité bâtie sur l'étendue en mettant l'accent sur le fait que la musique est construite dans la frontière entre deux mondes mais aussi comme appel au dépassement des frontières.” Jean-Paul Gavard Perret, Revue et corrigée