AFFLUX "Bouquetot / Paris / Port-Jérome"
Dans le contexte d'une musique "in situ", l'enregistrement pourrait être
l'interstice entre l'espace et le temps, la marque de leur rencontre, de leur
lutte. Jean-Luc GUIONNET, Eric LA CASA et Eric CORDIER disposent chacun d'un
matériel d'enregistrement spécifique pour capturer la trace d'un
moment dans un espace spécifique; les lieux choisis sont tous trois en
relation avec la notion de transport, peut-être pour la symbolique de mouvement,
de processus continu qu'ils évoquent. Chaque espace d'enregistrement existe
en tant que lieu défini, délimité (tunnel, gare, raffinerie),
mais le fait d'enregistrer, de délimiter
une zone d'activité sonore, de par la position des capteurs et la zone
qu'ils recouvrent, redéfinit les frontières, réévalue
le découpage de l'espace, délimite un site en mouvement, trace
d'une double rencontre, celle de l'activité humaine chaotique et fluctuante
et l'action délibérée des artistes, et celle d'un temps,
isolé, segmenté par l'enregistrement, et d'un espace redéfini
par des règles non plus liées au découpage visuel, objectif,
mais au développement du son dans un espace sans limites sinon acoustiques.
La beauté poétique de cette activité trouve une réponse
dans le résultat sonore, qui oscille entre trace d'une activité identifiable
et la réponse imperceptible de l'environnement, de l'architecture, une
autre construction de l'espace perçue par d'autres oreilles.
Toma BURVENICH, Revue & corrigée 53, Septembre 2002
AFFLUX - AIZIER ST MARTIN-SUR-MER DIEPPE
Afflux is a collaboration by three wellknown French composers: Eric
Cordier, Jean-Luc Guionnet and Eric La Casa. They have built a musical
interface to work
live with sounds from specific sites, one of them recording those sounds
and sending them to the other two, who can manipulate them in various
ways. This
process can basically be carried out perpetuously, so that a continous stream
is created. As sound sources for their work they have chosen similar sites:
streams, ports, stations, roads and so on. The title of the CD refers
to the locations
where the sounds were recorded. Th results are works that flow as the
original material, but with many subtle alterations. It is possible to stay
in touch with the original, but one can just as well focus on the manipulations
and be wrapped in an imaginary world, founded on the real one. This interplay
between the real and the imaginary is very seductive and creates an endless
stream
of possibilities inbetween. It takes some time for the unreal to unveil itself,
but that is precisely the charm of this record. A very good work.
roel Melkop, Vital, été 2002
Il me vient sans cesse une image à l'écoute des disques d'Afflux
: celle d'un corps dont le sens principal serait l'écoute, et qui aurait
une morphologie en conséquence. Ses "oreilles" ne seraient pas juste double,
ni seulement composées
d'une membrane vibrante au fond d'un pavillon, mais d'une multitude de capteurs
divers : membranes, palpes, résonateurs, fins organes en forme de fils
tendus dans l'espace avoisinant, tentacules auditifs extensibles allant chercher
les sons au plus près dans des directions diverses... le tout ramenant
dans des mouvements de caresses, de nombreuses informations sur l'environnement
proche et lointain de ce corps. Techniquement c'est un peu à cela que
ressemble l'installation de captage sonore de Jean-Luc Guionnet, Eric La Casa
et Eric Cordier : une camionnette remplie de machines d'enregistrement, de micros
de toutes natures, de micros préparés qu'ils placent et déploient
dans diverses localisations pour en extraire une quintessence a pas à proprement
(à classiquement) parler de musique au départ de ce jeu avec
l'environnement, mais
un monde de bruissements, de vibrations, d'accidents sonores, de souffles,
d'échos,
que ces trois poètes (j'entends par là personnes douées
d'une grande
sensibilité d'acuité) recueillent délicatement, et assemblent
directement sur la bande. Il y a quelque chose de formidablement excitant dans
cette démarche, qui au final offre une musique extraordinaire. Ces trois-là,
dans cette situation, ne sont pas des créateurs de sons, comme il est
traditionnellement entendu qu'un musicien doit être, mais des articulations
raffinées,
des cartilages subtils dans l'ossature complexe de la poétique sonore
du réel. Ici ils (se) livrent (à) une écoute attentive du
monde réel objectif, transformée avec respect en une forme poétique
subjective et collective. Six oreilles, trois curs et une volonté commune
de se promener au plus près, ou au plus loin des sons, de ce qui les
produit, de ceux qui nous environnent.
Et de ces points de vue instables et fugaces dont ils nous font part, nous
pouvons faire avec nos deux oreilles l'expérience alchimique de la transmutation
du plomb en or. Ce quotidien sonore qui nous environne sans cesse, et dont la
majorité d'entre nous n'a que faire, est ici magnifié, exalté dans
une beauté stupéfiante. Ici aussi, par cette pratique, l'ego disparaît,
les trois musiciens se fondent en un organe exagérément sensible
de perception, pour nous offrir la beauté immanente du monde sur un
plateau. Micro et macro-perceptions se fondent, les musiciens ne jouent plus
d'instruments,
mais
se font les instruments de révélation de la poésie de notre
monde. Superbe. P.S. : l'autre disque sur Ground Fault offre une écoute
de paysages plutôt industriels (gare, autoroute, raffinerie), ici ce sont
plutôt des paysages au bord du monde industriel (tuyaux de métal
au bord d'un fleuve, bord de mer - la prise de son s'arrêtant lorsque la
mer, trop haute, obligea de dégager
la camionnette -, station radar d'un bord de mer).
Manu HOLTERBACH, Revue & corrigée 54, Décembre 2002