Point de départ : la problématique des flux et des courants, des dérives possibles des corps et objets dans un espace donné, de l’émergence de phénomènes ou d’émotions liés à ces flux. Point de cristallisation, une installation qui "réfracte" différentes échelles, logiques et modalités de fonctionnements, objets, mots, sensations, informations, musiques… L’idée est de composer […] avec le phénomène acoustique des ondes stationnaires pris comme relation physique entre le son et l’espace. Point de chute : une galerie marchande à Melbourne, en Australie.
L’histoire commence en 2005, à l’invitation de Philip Samartzis, directeur artistique du festival Liquid Architecture, qui convie Jean-Luc Guionnet et Éric La Casa à présenter leur travail. Ils expliquent leur démarche en ces termes : nous multiplions les pratiques artistiques en développant la transversalité des questions comme pour s’en sortir (dans tous les sens du terme). À l’intérieur de notre recherche musicale, nous faisons entrer les arts plastiques, la radio, ou encore le cinéma. Même si le son reste entre nous la monnaie d’échange la plus courante, un projet ne reçoit pas d’emblée une réponse exclusivement musicale ou sonore… Jean-Luc Guionnet et Éric La Casa recherchent un lieu d’intervention à Melbourne réunissant les réalités (acoustiques, anthropologiques, sociales…) d’un territoire et porteur de ses propres spéculations esthétiques. Ce sera le quartier Central Business District et la West Space Gallery. Comme ils le décrivent minutieusement dans la nomenclature consacrée à leur installation Reflected Waves (ondes réfléchies), ils effectuent toute une série de captations — étendant leurs prises de son aux points cardinaux — qu’ils mettent en forme ensuite pour en proposer un rendu spatialisé en galerie. Chaque son collecté à son double en image, parfois barré d’un mot échappé d’une enseigne, pour mieux inscrire les bruits dans la topographie du lieu. En image "animée", cela donne une vue fixe sur un groupe d’immeubles filmé en continu de la fin de la soirée à la matinée, passant ainsi de la nuit d’encre aux premières lueurs du jour, le tout entrecoupé d’inserts. La bande-son "oscillant" au gré de field recordings (ambiance urbaine du quartier). Laurent Diouf, Musiques Cultures Digitales 81, may 2016
Le discours de la méthode
Jean-Luc Guionnet et Eric La Casa démontrent, par leur mise en pratique, le problème des flux et des courants dans l’espace géographique, celui de la pensée comme dans la dérive des corps en leur sein. Reflected Waves combine échelles, informations, langues (mots, images, musiques), documentations, calculs dans une même installation . A la manière d’un Cage, les deux créateurs décrivent le process et les étapes d’un travail qui commença de composer « d’une manière ou d’une autre avec le phénomène acoustique des ondes stationnaires comme relation physique entre le son et l’espace ». A posteriori, les artistes commentent leur installation et ce qu’elle induisait et décrivent comment la partition sonore se visualise.
C’est à partir d’un réservoir d’éléments que Guionnet et La Casa ont construit une œuvre au sens particulier : non dans la perspective de progrès qui était celle — par exemple - d’un Lautréamont, mais pour obéir à deux exigences fondamentales. La première est celle d’une forme de mise en conformité de l’Art avec la Nature dans le circulus, le cycle des flux en un espace donné. La seconde — corollaire à la première — est « l’oubli de soi ». L’art n’est plus seulement une auto-expression : il devient une auto-altération.
Le livre montre les éléments de la composition de l’œuvre, la division d’un tout en parties, la forme, le contenu, la morphologie de la continuité, la méthode. Celleci est le moyen de contrôler le matériau : son, silence, ondes. Elle donne aussi au lieu (Melbourne) un grand nombre d’inventions techniques pour contrôler la continuité selon des improvisations réfléchies. Mots, sons, cartes, galerie, studio, intermèdes jouent en cette approche, de même que les concepts de structure, d’intention, de discipline, de notation, d’interpénétration, de « dévotion » aux circonstances. Ils deviennent les véritables « actants » d’une poétique sonore et visuelle à la fois libre et statufiée.
Le son renvoie au visible comme le second au premier. Et le livre ramène aux principes directeurs selon un procédé pratiqué par des musiciens contemporains comme par les anciens rhéteurs. Les deux artistes transforment les genres répertoriés, les pervertissent en en modifiant la contrainte et la condition.
Une grande partie de l’oeuvre de La Casa structure d’ailleurs une telle approche : le contexte y demeure essentiel comme contrainte impérative et invariable. jean-paul gavard-perret, Le littéraire, http://www.lelitteraire.com/?p=19369, 2015